«Il faut réformer le secteur» (Edition 2015-43)

Interview exclusive à Tunis de Salma Elloumi Rekik, ministre du Tourisme et de l’Artisanat de Tunisie. Le jour où la Tunisie a obtenu le prix Nobel de la paix.

Madame la Ministre, comment peut-on se projeter dans l’avenir du tourisme dans un pays si durement touché après les attentats du Bardo et de Sousse?

En montrant que nous ne sommes pas abattus, que nous plions, mais comme le roseau. On a voulu frapper l’économie tunisienne et le tourisme en fait partie. Nous devons agir. Comprendre pourquoi c’est arrivé n’est pas une fin en soi, il faut se relever, profiter de cette période difficile pour que les failles n’en soient plus. Nous devons aussi admettre que des attentats se produisent partout, pas seulement ici. Mais nous le payons très cher.

Collaborez-vous avec les pays qui ont également été touchés et, si oui, de quelle manière?

Depuis le Bardo, nous travaillons de mieux en mieux avec les pays européens, de manière bilatérale ou multilatérale, et selon des standards identiques que nous appelions de nos vœux. Nous nous transférons les informations. Mais il est évident qu’il est plus simple de sécuriser l’île de Djerba que l’ensemble d’un pays qui a aussi des zones frontalières désertiques. 

Et le problème, c’est la Libye. La sécurité est une question très impor-tante et il faut que cela se sache et se montre, la paix sociale aussi parce qu’en Tunisie, la victime, c’est le peuple. Sinon, rien ne peut reprendre, c’est une évidence.

La Tunisie est-elle plus sensible, est-ce que le processus démocratique ne plait pas à tout le monde?

Le seul pays où le Printemps arabe est possible, c’est la Tunisie. Et ça ne plaît pas à tout le monde. La Grande-Bretagne aussi a connu des attentats. La France a vécu des drames terribles cette année. Et, malgré tout, la France bat ses records de fréquentation touristique. Il y a donc d’autres réponses, plus conjoncturelles, à chercher. Il existe un lien avec la religion et cela touche tous les pays musulmans. Lorsque de tels drames se produisent, l’impact est encore plus grand et l’économie plus fragilisée. Il faut donc prendre des mesures dans tous les domaines, qu’il s’agisse de sécurité ou de formation.

Qu’est-ce qui inspire la crainte, le retrait ou les coups de frein des grands opérateurs touristiques?

Concrètement, où en sommes-nous? A fin septembre, 2015 affiche une baisse de 25% par rapport à 2014. Mais moins 50% pour ce qui concerne la clientèle européenne, moins 60% pour le marché français. J’ai pu discuter avec ces grands opérateurs. Il ne s’agit pas toujours de fermer la porte, mais d’arrêter la programmation cet hiver. Pour 2016, nous espérons la reprogrammation. Il s’agit donc d’un optimisme très mesuré.

Que fait-on, en particulier face à ces marchés qui s’écroulent?

Il faut avancer. Nous travaillons avec l’ensemble des partenaires car tout le monde est touché et tout le monde doit retrousser ses manches y compris les partenaires internationaux qui doivent comprendre que nous ne voulons plus brader les produits tunisiens. 

Il ne s’agit pas de mettre la pression sur les marchés qui pèsent lourd et qui connaissent des difficultés pour programmer la Tunisie. Ils seront toujours les bienvenus. Mais ils doivent peser moins lourd dans la balance, en pourcentage. Nous devons développer d’autres marchés, ne pas être tributaire de tel ou tel. 

Pour monter en gamme, n’est-il pas urgent d’avoir des produits de qualité en plus grand nombre?

Pour diversifier nos marchés, il im-porte aussi de réformer le secteur touristique. Bien sûr qu’il faut développer les congrès, mieux travailler le tourisme des seniors. Nous devons aussi nous mettre à niveau, en particulier pour ce qui concerne l’environnement car il y a eu beaucoup de dérapages ces derniè-res années. Travailler aussi les nouvelles campagnes de promotion en communiquant non pas sur la carte postale de la destination Tunisie, mais sur la société tunisienne, des lieux, des nouveaux produits comme les maisons d’hôtes qui apportent une nouvelle clientèle, le terroir, la gastronomie.

Qu’apportera l’Open Sky, qui sera bientôt une réalité dans le ciel tunisien?

L’Open Sky, c’est dans six mois, c’est-à-dire demain matin. Il faut s’y préparer car c’est en quelque sorte l’ouverture de l’autoroute. Le tourisme doit être lié au transport. Mais il va falloir mettre les bouchées doubles et se projeter très vite dans la réalité qui nous attend. Il y a 50 000 lits à Djerba. Avec l’Open Sky, ce ne sera pas suffisant.

Alain Bossu, Tunis