Le retour de manivelle (Edition 2010-29)

Dominique Sudan à propos d’Easyjet

A l’origine, Stelios avait un concept limpide: démocratiser les voyages aériens en proposant un tarif extrêmement attrayant et en garantissant un produit qui tient la route. Easyjet voyait le jour et, même si les airlines traditionnelles la regardaient de haut dans un premier temps, obligeait toutes les compagnies aériennes régulières à revoir leur modèle commercial, développement qui, en soi, n’était nullement un mal. Mais depuis quelques mois, Stelios est fâché avec la compagnie qu’il ne dirige plus mais qu’il contrôle encore: selon le fondateur chypriote, la stratégie d’Easyjet orientée vers une croissance à outrance va droit dans le mur, ses responsables ayant perdu de vue un objectif central, la rentabilité. 

Au fil des années, Easyjet est devenu le principal acteur de l’Aéroport International de Genève, avec 35,1% de parts de marché, une dizaine d’Airbus stationnés ici et plus de trente destinations. Pour Easyjet, Genève est une vache à lait: le prix moyen par passager est plus élevé qu’ailleurs et les aéroports desservis ne sont nullement de seconde zone, contrairement à Ryanair. Pour y parvenir, Easyjet a fait très fort en termes de marketing et de communication: persuader le quidam que ses prix sont les plus bas du marché, ce qui est totalement faux. Sur des routes aériennes où la compagnie Low Cost est en concurrence directe avec des airlines régulièrement, le tarif de ces dernières est très souvent bien plus intéressant, service compris.

Depuis plusieurs jours, Easyjet est non seulement la cible de tous les médias romands, elle est aussi celle de son fonds de commerce, la clientèle. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les discussions des pendulaires, des gens de la rue et du Café du Commerce. Les clients n’acceptent tout simplement plus les couacs à répétition de la compagnie orange obligeant des jeunes à transiter par Londres pour se rendre deux jours plus tard à Majorque ou annulant tout bonnement des liaisons entre Berlin et Genève. 

Soucieuse de redorer son blason, Easyjet s’est fendue d’un communiqué de presse qui n’en est pas un. On y parle des droits des passagers, des excellentes relations entretenues avec l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC) et de la densité du trafic en Europe où les grèves handicaperaient l’aérien dans plusieurs pays. Là, on se pince. Pourquoi Easyjet en est-elle victime alors qu’un groupe comme Lufthansa dont le réseau est autrement plus dense n’en fait nullement état?

Easyjet est tout simplement victime de son modèle commercial. Pour rentabiliser ses opérations, elle doit assurer chaque jour huit rotations par appareil. Au moindre retard, c’est l’effet domino assuré. L’autre erreur consiste à ouvrir des lignes vers des destinations balnéaires alors que, dans ce segment, le client veut aujourd’hui une flexibilité maximale se traduisant par des rotations presque quotidiennes. Ce faisant, Easyjet sacrifie des appareils pour une journée sur des axes comme Sharm el Sheik ou Heraklion. Stelios a raison. Le retour de manivelle est violent et sa compagnie va droit dans le mur si elle poursuit ainsi. De tels couacs ajoutés au réveil du volcan islandais auront prouvé aux gens que, finalement, les agences de voyages et les airlines régulières conservent un rôle prépondérant.