«Pourquoi pas un troisième vol sur Zurich?» (Edition 2015-43)

Thierry Antinori, CCO d’Emirates, face au deuxième A380 sur Zurich, aux éternels reproches de subventionnement et au fait que la compagnie de Dubaï ne soit membre d’aucune alliance.

Depuis le 1er octobre, Emirates a augmenté de 15% la capacité sur Zurich en introduisant un deuxième Airbus A380. Peu avant, le CCO d’Emirates s’est déplacé en Suisse et a abordé divers thèmes dans le cadre d’une discussion exclusive. Thierry Antinori face…

… au marché suisse:

Le produit est bon, l’équipe est bonne, le pouvoir d’achat est bon. Les Suisses comprennent notre souci de la qualité et sont prêts à payer pour de bonnes prestations. Le premier A380 sur la route de Zurich a boosté le marché suisse; il en ira de même avec le deuxième A380, d’autant qu’il s’agit d’un vol du soir. Nous lancerons comme d’habitude des actions sporadiques, mais n’appliquerons pas les prix les plus bas du marché. Nous ne pourrions pas nous permettre de pratiquer des prix aussi bas que Swiss sur Dubaï.

Genève constituerait également un candidat pour l’A380, surtout en raison des réservations en First et en Business Class. Mais l’infrastructure de l’aéro-port ne le permet pas. Mais une autre idée pour le futur: pourquoi pas un troisième vol sur Zurich? Cela a fonctionné à Manchester, à Milan ou à Rome. Au final, c’est le client qui décidera.

… à l’A380:

Nous exploitons une flotte de 67 Airbus A380, et 73 autres sont commandés. Cet appareil convient extrêmement bien à la clientèle. Il est vrai que l’A380 est actuellement moins demandé chez d’autres compagnies. Si cela fonc-tionne chez nous, c’est par le fait que nous offrons un excellent service et le meilleur rapport qualité/prix, et que nous exploitons un hub «longhaul to longhaul». 

Il faut avoir en outre la vision qui correspond et un peu de courage dans ce domaine. Beaucoup de dirigeants de compagnies aériennes pensent plutôt de manière conservatrice: des capacités réduites, des recettes assurées et moins de risque en basse saison. Notre président, Sir Tim Clark, l’a parfaitement formulé: «L’industrie aérienne a besoin aujourd’hui d’un nouvelle graine de managers.»

… au marché Europe-Asie:

On nous reproche en Europe de tirer vers le bas le marché à destination de l’Asie avec notre pricing. En fait, nous ne réduisons nos tarifs que si une concurrence agressive nous y contraint presque. Nous le faisons très rarement de manière proactive. Et si cela arrive, c’est seulement hors saison pour stimuler ponctuellement la demande.

Je ne pense pas que les Européens perdent des parts de marché en raison de nos prix, mais parce que le client opte pour notre produit et la densité de nos liaisons. 

… aux alliances et aux partenariats:

Nous préférons investir dans notre marque et dans notre produit que dans des alliances. Pourquoi? Nous voulons d’abord être consistants vis-à-vis de nos clients et avoir le contrôle de l’offre et du produit. Le risque de délayage existe avec les alliances. 

Ensuite, nous sommes les seuls à utiliser Dubaï comme hub. Enfin, les discussions portant sur l’optimisation des capacités débutent dès le moment où l’on entre dans une alliance. Nous ne voulons pas de cela. Selon divers experts, nous serions 20 à 30% plus petits si nous avions fait le choix d’entrer dans une alliance.

Nous privilégions la voie de partenariats comme c’est le cas avec Qantas, ou avec Easyjet en termes de pro-gramme de fidélisation. Notre concurrent Etihad Airways compte plus fortement sur les participations et les partenariats. Mais la situation est différente: la compagnie est plus jeune et donc plus petite que nous. Etant donné qu’elle n’est pas en mesure de refaire son retard plus rapidement avec une croissance organique, elle grandit via des partenariats.

… à la qualité des recettes:

La pression sur les recettes par siège est forte. Le nombre de passagers doublera, il est vrai, d’ici 2030, mais l’industrie aérienne est un marché fragmenté et les obstacles d’entrée pour les airlines ne sont pas particu-liè-rement élevés. Malgré une croissance de 60% au cours des quatre dernières années, nous ne sommes pas parvenus à augmenter légèrement la recette moyenne. 

Ce fut possible en portant plus fortement l’accent sur la clientèle d’entreprises, entre autres par l’amélioration de notre programme de fidélisation. Mais Dubaï s’est aussi fortement développé en tant que ré-gion, raison pour laquelle nous enregistrons davantage de trafic point à point générant un yield plus élevé.

… aux reproches de subventionnement des USA:

A notre création, nous avons obtenu de notre actionnaire, l’Emirat de Dubaï, un capital de départ de 10 millions de dollars US, ainsi que divers investissements de l’ordre de 80 millions. C’est tout. Et à cause des accusations de la troïka américaine pilotée par le CEO de Delta, Richard Anderson, nous devrions maintenant prouver dans un document global et fourni que ces accusations sont sans fondement.

Sur ce point, je ne comprends pas tout à fait les compagnies américaines: elles font partie des plus bénéficiaires au monde, mais leur produit devient toujours plus obsolète. Elles placent les besoins de leurs actionnaires devant ceux des clients – nous faisons exactement l’inverse. Et les airlines américaines sont ensuite irritées face à la qualité de notre produit. 

… aux droits de trafic:

Nous envisagerions encore quelques possibilités, que nous ne pouvons pas concrétiser en raison des droits de trafic. Par exemple, nous volerions volontiers sur Berlin, mais nous avons déjà épuisé notre contingent de quatre destinations allemandes. Sur Paris, nous avons droit à 20 vols par semaine, et non 21. Par conséquent, nous ne pouvons pas voler trois fois par jour. 

Le ministre des Transports nous a déclaré que «si nous souhaitions un horaire plus pertinent, nous devrions redescendre à 14 vols». Il me semble curieux que de telles décisions soient partout du ressort des ministres des Transports. Ils s’entretiennent avec leur compagnie nationale et le cas est ensuite réglé. Les pays concernés y gagneraient davantage si de tels dossiers étaient entre les mains du ministre du Commerce ou du Tourisme. 

… aux 30 ans d’Emirates:

Il n’y aura aucune fête. On ne se fête pas soi-même. Le président de la direction nous fera sans doute parvenir une note interne, mais, comme tous les autres jours, l’attention sera portée au client et au marché. Pas à nous-mêmes.

Stefan Jäggi*

*adaptation: Dominique Sudan