Le Boeing 737 MAX, un échec, vraiment?

Consultant en aéronautique, Philippe Meyer se penche sur cet appareil, ses défauts et surtout ses qualités.  
©TRAVEL INSIDE

L’histoire de l’aviation est jalonnée de promesses fulgurantes et de désillusions retentissantes. Le DC-10 en est l’exemple parfait.

D’abord salué comme un avion révolutionnaire pour les vols long-courriers, son destin fut rapidement entaché par une série d’accidents dramatiques. La confiance du public et des compagnies aériennes s’effrita au fil des catastrophes, et bien qu’il devînt par la suite un appareil fiable, ni sa réputation ni son carnet de commandes ne purent jamais totalement s’en remettre.

À bien des égards, le destin du 737 MAX semble suivre une trajectoire similaire. Comme le DC-10 avant lui, il fut frappé, dès ses débuts, par des catastrophes aériennes qui firent vaciller la confiance du public.

Différences fondamentales entre le DC-10 et le 737 MAX

Pourtant, une différence fondamentale distingue ces deux appareils. Là où le DC-10 vit ses ventes s’effondrer sous le poids des doutes quant à sa fiabilité, le 737 MAX, lui, n’a cessé de se vendre. Bien au contraire, il est en passe de devenir l’un des avions commerciaux les plus populaires de l’histoire. Mais alors, comment expliquer ce paradoxe? Après tant de controverses, pourquoi les compagnies aériennes continuent-elles d’investir massivement dans cet avion? Revenons sur les événements qui ont jalonné l’histoire du 737 MAX.

©Boeing

Tout commença en 2018, lorsque le crash d’un MAX 8 de Lion Air précipita l’appareil dans les eaux de la mer de Java. À peine un an plus tard, un second drame frappa cet avion: un MAX 8 d’Ethiopian Airlines s’écrasa dans le désert, aux abords d’Addis-Abeba.

Ce second accident marqua un tournant. Toute la flotte mondiale de MAX fut alors clouée au sol. Les enquêtes révélèrent des failles majeures dans le logiciel de l’appareil, notamment le fameux système MCAS, conçu pour éviter un décrochage mais qui, ironie du sort, précipita ces avions au sol. La révélation de ces anomalies entraîna des conséquences désastreuses pour Boeing. Entre 2018 et 2020, les commandes ne se contentèrent pas de stagner : elles s’effondrèrent, effaçant près de 800 unités du carnet de commandes.

Ce que l’on peut qualifier de première crise du MAX finit cependant par s’apaiser. Boeing apporta les correctifs nécessaires et obtint l’autorisation de remettre l’appareil en circulation. Mais à peine cette tempête passée, une seconde crise surgit.

Nouvelles crises mais peu d’effets

En 2022, des problèmes liés au système antigivrage retardèrent la certification des variantes MAX 7 et MAX 10. Puis, en janvier 2024, un événement des plus spectaculaires ébranla à nouveau la confiance dans l’appareil: un MAX 8 d’Alaska Airlines perdit une porte en plein vol, révélant des manquements alarmants dans les contrôles de qualité de Boeing.

Face à une telle accumulation de scandales, on aurait pu s’attendre à un nouveau naufrage commercial pour l’avionneur. Et pourtant, c’est tout l’inverse qui se produisit. Contre toute attente, ces crises successives n’eurent pas l’effet escompté sur les ventes du 737 MAX.

Depuis 2022, près de 1000 appareils supplémentaires ont été commandés, gonflant le carnet de commandes de Boeing de 25%. Plus surprenant encore: des compagnies aériennes historiquement fidèles à Airbus, comme Lufthansa ou Allegiant Air, ont, elles aussi, choisi de commander des MAX.

Ainsi, en dépit de son passé tumultueux, le 737 MAX s’impose aujourd’hui comme la troisième famille d’avions la plus vendue de tous les temps. À ce jour, son carnet de commandes atteint près de 800 milliards de dollars.

Le fameux nerf de la guerre

Un constat qui laisse songeur: comment un programme entaché de tant de scandales parvient-il à se vendre aussi bien? La réponse tient en un mot: coût.

Que cela nous plaise ou non, l’industrie aérienne repose sur une logique implacable d’optimisation financière. Fonctionnant avec des marges bénéficiaires dérisoires, parfois réduites à 5%, les compagnies aériennes doivent minimiser leurs dépenses à tout prix pour assurer leur survie. Or, malgré ses nombreux défauts, le 737 MAX demeure l’un des avions les plus rentables du marché. Trois raisons essentielles expliquent cet attrait persistant:

1. Un coût d’acquisition attractif

À l’achat, le 737 MAX est moins cher que son principal concurrent, l’Airbus A320 NEO. Sa conception repose sur des éléments hérités du 737 original, un modèle vieux de près de 60 ans. Contrairement à l’A320 NEO, qui adopte des technologies de pointe, le MAX conserve une structure plus simple:

  • Un fuselage plus étroit
  • Un train d’atterrissage plus court
  • Des commandes de vol mécaniques, là où l’A320 NEO utilise un système fly-by-wire sophistiqué.

Cette simplicité réduit non seulement le coût des matériaux, mais aussi celui de la fabrication. De plus, les récents scandales ayant refroidi certains acheteurs, Boeing a dû brader ses prix pour attirer les compagnies. Pour celles-ci, ces réductions massives l’emportent bien souvent sur les inquiétudes liées à la fiabilité du modèle.

2. Un coût d’exploitation réduit

Au-delà du prix d’achat, le 737 MAX est également plus économique à l’exploitation. Bien que ses moteurs LEAP-1B et son design aérodynamique lui confèrent une meilleure efficacité énergétique, son véritable atout réside ailleurs: la formation et la maintenance.

Les pilotes habitués aux anciens 737 nécessitent un temps de formation réduit pour obtenir leur certification sur le MAX. De même, la maintenance de l’appareil est simplifiée grâce à la réutilisation de nombreuses pièces communes avec les précédentes générations. Ces économies substantielles rendent le MAX très compétitif, malgré les craintes qu’il suscite.

3. Une alternative indisponible

Enfin, un facteur essentiel joue en faveur du MAX: les délais de livraison. À la fin de 2020, l’Airbus A320 NEO affichait une avance de 3000 unités sur son rival. Résultat? Les compagnies aériennes ayant commandé l’A320 NEO doivent attendre des années avant d’être livrées.

Boeing, de son côté, malgré ses difficultés, offre des délais plus courts. Or, dans un secteur aussi concurrentiel, pouvoir moderniser rapidement une flotte représente un avantage stratégique considérable. Dès lors, choisir l’A320 NEO, c’est risquer de rester à la traîne, alors qu’opter pour le MAX permet d’obtenir des avions plus vite et de devancer la concurrence.

Le 737 MAX est une énigme

Son histoire est marquée par des drames, ses défauts sont bien connus, et pourtant, il continue de dominer le marché. Finalement, peu importe son passé ou son image ternie. Ce qui prime aux yeux des compagnies, c’est qu’il remplit sa mission: réduire leurs coûts.

Philippe Meyer