«Pousser les destinations secondaires en Asie du Sud-Est»

Interview exclusive de Willem Niemeijer, CEO de Yanna Ventures et fondateur de la DMC Khiri Travel.
Willem Niemeijer ©màd

Pour Willem Niemeijer, le futur de l’Asie du Sud-Est se niche dans une meilleure mise en avant des destinations secondaires ainsi qu’une simplification des formalités d’entrée d’un pays à l’autre pour favoriser les circuits multi-destinations.

Basé à Bangkok, Willem Niemeijer est depuis trente ans l’un des principaux spécialistes de l’Asie du Sud-Est, fondateur de Khiri Travel, une agence réceptive travaillant avec de nombreux tour-opérateurs européens dans l’ASEAN ainsi qu’aux Maldives et Sri Lanka. Il livre en exclusivité pour TRVEL INSIDE sa vision du tourisme dans cette partie du monde et les éléments de succès de la région dans les prochaines années. (LC)

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Quel bilan et conséquences tirez-vous des années Covid?

Bien sûr, notre activité a été fortement affectée par la crise du Covid, la majorité des pays de la région étant fermée aux touristes étrangers.

Mais il faut aussi voir le côté positif d’une telle crise. Elle a permis de réfléchir à l’évolution de notre activité, de la reconstruire et aussi de former nos collaborateurs. Avec la levée des restrictions, on a retrouvé une activité comparable à ce qu’elle était avant la crise. En fait, le Covid a démontré que les gens ont besoin de voyager pour s’offrir une expérience différente dans leur vie.

Comment se comporte généralement le tourisme dans la région?

La plupart des marchés reviennent même s’il existe toujours un problème avec le marché émetteur chinois. La suppression des visas pour les voyageurs chinois se rendant en Thaïlande, en Malaisie ou à Singapour va dynamiser cette année le marché.

Le seul problème auquel se trouveront confrontés les pays de la région est le surtourisme. La concentration dans quelques lieux emblématiques du tourisme comme Phuket en Thaïlande, Bali en Indonésie ou la Baie d’Halong au Vietnam est une difficulté que les autorités doivent résoudre. La Thaïlande a ainsi déjà réagi à cette problématique en ajustant sa campagne marketing sur l’expérience humaine – ce qui passe par la découverte d’autres destinations. En fait, en poussant un tourisme plus «niche», on élève la qualité des visiteurs.

Justement, n’est-il pas contradictoire de toujours regarder les chiffres du nombre de visiteurs quantifiant le succès d’une destination plutôt que d’appliquer des critères de qualité différents?

Comment décider quels sont les critères de qualité du tourisme. C’est tout à fait logique de d’abord regarder les chiffres de la fréquentation. Cela reste un important critère d’évaluation de l’impact du tourisme sur les économies locales.

En revanche, la fréquentation touriste doit conduire à définir de nouveaux repères statistiques. Comme par exemple la durée de séjour. Elle implique une plus grande dépense par visiteur et aussi elle favorise un tourisme plus durable puisqu’elle permet d’amortir l’impact environnemental que génère le touriste sur l’environnement.

La durée de séjour est-elle alors fondamentale à la qualité du tourisme?

«Fondamentale» je n’en suis pas si sûr, mais elle peut grandement y contribuer. Un séjour long permet d’obtenir un effet de ruissellement économique dans la promotion de nouvelles destinations.

Par exemple, des touristes séjournant une à deux semaines dans le nord de la Thaïlande pourront découvrir autre chose que Chiang Mai et ses proches environs. Il permet de mettre en avant d’autres destinations comme par exemple Lampang, Nan, les montagnes du Nord ou les villages le long du Mékong.

Le danger de mener une politique touristique de qualité pour les autorités locales est en effet de penser que qualité est égale à luxe et donc de concentrer la promotion sur les nouveaux resort cinq étoiles, les restaurants étoilés et spas exclusifs. La qualité, ce n’est pas que le prix payé par le visiteur. Les «backpackers» en sont un excellent exemple car ils sont généralement les plus à même à explorer de nouvelles destinations. Qui vont donc éloigner une destination d’un tourisme de masse. 

L’environnement joue-t-il un rôle essentiel dans l’attrait d’une destination?

Tout dépend du marché émetteur. Les Européens sont par exemple toujours plus sensibles à l’impact environnemental en voyage.

Beaucoup d’ailleurs manifestent de l’intérêt pour compenser leur présence par une activité ayant un impact positif sur une communauté. On a de nombreux exemples d’implication des touristes dans un projet communautaire en Thaïlande, au Laos et Cambodge ou encore en Indonésie. Je pense par exemple au nettoyage d’une plage ou à la protection d’une communauté. En fait, en ciblant des marchés de niche, on contribue à l’augmentation qualitative du tourisme.

Quels sont les freins à la promotion de nouvelles destinations?

Je pense d’abord que 2024 va accélérer la promotion de nouvelles destinations pour toutes les raisons que je viens de décrire. Le principal problème encore est celui de l’accessibilité. Cela concerne non seulement un mode de transport économique et vertueux sur le plan environnemental (le train par exemple), mais aussi les formalités de séjour d’un pays à l’autre. Le fait de demander un visa pour chaque pays, de ne pas pouvoir utiliser un même véhicule d’un pays à l’autre, de passer son temps à attendre aux passages frontière est de nature à décourager la création de circuits multi-destinations.

Or ils permettraient de créer de nouvelles thématiques et de nouvelles destinations. L’Asie du Sud-Est a encore beaucoup à apprendre d’une simplification des formalités de voyage !

Luc Citrinot, Bangkok