Les CFF pénalisent Genève Aéroport

Une année après le publication du projet de nouvel horaire et le tollé que celui-ci avait suscité, les CFF persistent et signent: ils suppriment les IC via le Jura entre les deux pôles économiques du pays, Zurich et Genève.
Dominique Sudan, rédacteur en chef de TRAVEL INSIDE (français).
On prône d’un côté la durabilité, l’éco-courant et la trotteuse ‘verte’ d’une fameuse horloge, on incite de l’autre les voyageurs aériens à se rendre à l’aéroport en véhicule privé en raison de l’inconfort des changements de trains et des multiples risques qu’implique une telle rupture de charge.
Il y a une année exactement, les CFF créaient un mouvement collectif de protestation en Suisse romande suite à la publication du nouvel horaire envisagé à compter de la mi-décembre 2024: les Intercity 5 (IC5) de Zurich à Genève Aéroport par la ligne du Pied du Jura seraient presque tous sacrifiés. Or ces IC5, presque toujours composés de deux rames, connaissent un coefficient moyen de remplissage que le transbordement imposé à Renens rend totalement aberrant.
Une année plus tard, les CFF n’ont tenu aucun compte des revendications des communes concernées auxquelles Genève Aéroport s’était associé. Ces oppositions n’ont eu aucune influence sur la décision finale de l’ancienne régie fédérale: «Le remaniement des liaisons IC5 a été nécessaire car les analyses de l’horaire ont montré l’impossibilité de faire circuler les trains IC5 de façon systématique dans de bonnes conditions, en particulier sur l’axe Lausanne–Genève, très sollicité par les trafics grandes lignes, régional et marchandises. La liaison directe, chaque heure, entre Genève et les villes du Pied du Jura disparaît donc durant les heures creuses. Aux heures de pointe du matin et du soir, il est prévu que six trains directs InterRegio par jour et par sens en semaine circulent entre Neuchâtel et Genève-Aéroport. Deux liaisons directes par jour et par sens sont également mises en circulation, pour une période d’essai, les jours de week-end», expliquent sans état d’âme les CFF.
Bienne, le Jura, La Chaux-de-Fonds, Neuchâtel et Yverdon n’auront donc plus de relations ferroviaires dignes de ce nom vers le bout du lac et son aéroport. Les très nombreux pendulaires et les non moins nombreux passagers aériens embarquant à Genève n’ont à l’évidence aucun intérêt aux yeux des CFF.
En termes de produits, de confort et de flexibilité, les six trains prévus «aux heures de pointe» ne sauraient remplacer les ICN circulant aujourd’hui sur la ligne du Pied du Jura. Les CFF ignorent-ils que le trafic ne se limite pas aux heures de pointe avec les changements d’habitude de travail et que tout aéroport fonctionne par «vagues», la plus importante au niveau intercontinental se situant en milieu de journée à l’aéroport de Genève?
Quant aux tests annoncés les jours de week-end, ils laissent dubitatifs: aucun pendulaire ne voyage sur cet axe le samedi et le dimanche; et exception faite des grands départs en vacances, la densité du trafic est bien moindre en fin de semaine.
Depuis des décennies, l’horaire des CFF est pensé pour, de et par Zurich, centre du monde ferroviaire de l’entreprise sise dans la Berne fédérale. Or on n’ose pas imaginer la levée de boucliers outre-Sarine si décision était prise d’obliger les voyageurs à un changement de train à Lenzbourg ou Baden avant de s’envoler de Kloten ou de rejoindre leur lieu de travail…
Les CFF ont-ils pour vocation de développer le shopping en gare, même tard le soir comme ils le placardent partout? On pourrait compléter le slogan martelé dans les médias «On trouve tout à la gare» en y ajoutant «sauf des trains». En tout cas dans les villes du Pied du Jura.
L’influence politique limitée de l’Alliance des villes et des divers groupements qui se sont opposés il y a un an au projet des CFF n’est nullement nouvelle. C’est le fruit de la double léthargie des parlementaires romands en matière de transport ferroviaire et des départements cantonaux de l’économie lorsqu’un nouvel horaire est mis en consultation. Et cette inaction remonte à des lustres.
Là, la partie est déjà jouée pour l’horaire 2024/25 puisque les oppositions à ce nouvel horaire, qui peuvent encore être soumises à l’Office fédéral des transports (OFT) jusqu’au 9 juin, ne seront analysées par les services «compétents» que pour les années suivantes. Le cas échéant…
En sacrifiant les IC5 à destination de Genève Aéroport, les CFF se tirent une balle dans le pied. Ils multiplient les collaborations avec plusieurs compagnies aériennes (Swiss Air Rail, Air + Rail, codeshare dans les GDS avec d’autres airlines étrangères comme Air Canada, TAP Air Portugal, etc.) pour inciter le quidam à utiliser le train et obligeront bientôt les passagers à poireauter sur un quai avec armes et bagages.
Les CFF oublient également que la zone de chalandise d’un aéroport comme Genève s’étend bien au-delà de l’arc lémanique. Leur décision pénalise très fortement le deuxième aéroport du pays qui ne sera plus relié directement à l’arc jurassien dont l’importance économique n’est plus à démontrer dans certains secteurs d’activité.
Il serait loisible d’espérer une intervention en haut lieu du président du conseil d’administration de Genève Aéroport: le carnet d’adresses de Christian Lüscher pourrait activer les leviers susceptibles de réveiller la conscience politique des cantons concernés par cet horaire aberrant.