Quelle place pour la Suisse dans l’indice des passeports ?

La pandémie a fortement influé sur la valeur des passeports dans le monde, comme le démontre le classement de Henley & Partners.
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En ce début d’année 2022, les derniers résultats de l’indice des passeport Henley (Henley Passport Index) révèlent un niveau record de liberté de circulation pour les leaders que sont le Japon et Singapour, mais aussi les plus grandes différences de mobilité globale au cours des 17 années d’existence du classement. Sans tenir compte des restrictions Covid, les détenteurs de passeports de ces deux pays asiatiques peuvent désormais se rendre dans 192 pays du monde sans visa. C’est 166 de plus que les Afghans, dont le passeport se trouve en bas de la liste.

Le fossé qui se creuse dans la mobilité internationale entre les pays riches et les pays pauvres a été mis en évidence à la fin de l’année dernière par l’apparition de la variante hautement infectieuse du variant Omicron. Cette dernière s’est accompagnée d’une série de mesures punitives à l’encontre de pays principalement africains, que le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, n’a pas hésiter de qualifier de véritable «apartheid du voyage».

Une liberté d’abord croissante

Auparavant, la liberté de voyager avait globalement augmenté de manière significative au cours de la dernière décennie et demie. Selon les données historiques du Henley Passport Index, qui classe tous les passeports du monde en fonction du nombre de destinations auxquelles leurs détenteurs peuvent accéder sans visa, et qui se base sur les données exclusives et officielles de l’Association internationale du transport aérien (IATA), une personne pouvait visiter en moyenne 57 pays sans visa en 2006. Aujourd’hui, ce chiffre est passé à 107.

Cette augmentation globale cache toutefois un écart croissant entre les pays du Nord du globe et ceux du Sud: les ressortissants de pays comme la Suisse, la Suède et les États-Unis peuvent visiter plus de 180 destinations sans visa, tandis que les détenteurs de passeports angolais, camerounais et laotiens ne peuvent se rendre que dans une cinquantaine d’entre elles.

La Covid-19 accentue les inégalités

L’Allemagne et la Corée du Sud occupent ensemble la deuxième place du classement actuel. Leurs détenteurs de passeports peuvent visiter 190 destinations sans visa. La Finlande, l’Italie, le Luxembourg et l’Espagne, avec 189 destinations, occupent ensemble la troisième place.

Les passeports des États-Unis et du Royaume-Uni ont retrouvé un peu de leur force d’antan après avoir chuté à la 8e place en 2020 – la place la plus basse que les deux pays aient occupée en 17 ans d’existence de l’indice. Les deux pays sont désormais 6e avec un score de 186 pour l’exemption de visa et le visa à l’entrée.

Le passeport suisse, qui permet d’entrer dans 186 pays sans visa, se trouve également à la même 6e place que l’année dernière. Le meilleur indice du passeport suisse avait été atteint en 2006 avec la 4e place, le plus mauvais en 2010 avec la 10e place.

Christian H. Kaelin, président de Henley & Partners et inventeur du concept d’indice des passeports, estime que l’ouverture des canaux de migration est essentielle pour une reprise après la pandémie. «Les passeports et les visas font partie des principaux instruments qui ont un impact sur les inégalités sociales dans le monde, car ils déterminent les possibilités de mobilité globale. Les frontières à l’intérieur desquelles nous naissons et les documents que nous pouvons posséder ne sont pas moins arbitraires que la couleur de notre peau. Les États plus prospères doivent encourager l’immigration positive afin de favoriser la redistribution et l’équilibre des ressources humaines et matérielles dans le monde, mais aussi d’améliorer la taille et la qualité de leur propre main-d’œuvre.»

Dans le Henley Global Mobility Report 2022 Q1, publié en même temps que le dernier Henley Passport Index Ranking, le professeur Mehari Taddele Maru du Migration Policy Centre souligne que la volonté du Sud mondial de réagir à l’évolution des circonstances n’est pas toujours partagée par les pays du Nord mondial. «Les exigences coûteuses liées aux voyages internationaux institutionnalisent l’inégalité et la discrimination. La Covid-19 et son interaction avec l’instabilité et l’inégalité ont mis en évidence et aggravé l’écart choquant en matière de mobilité internationale entre les pays industrialisés prospères et leurs homologues plus pauvres.»

Le pouvoir des passeports à l’étude

Selon une étude commandée par la société mondiale de migration d’investissement Henley & Partners pour examiner les déterminants du pouvoir des passeports, les gains des pays les plus riches en matière de liberté de circulation se sont faits au détriment des pays les plus pauvres, qui ont connu des obstacles croissants à l’accès au cours des dernières années.

Les politologues Ugur Altundal et Omer Zarpli ont comparé les données de l’indice des passeports de Henley sur 17 ans avec les statistiques de la Banque mondiale sur le PIB et la fragilité, ainsi qu’avec les données du projet Varieties of Democracy (V-Dem) de l’université de Göteborg. L’étude montre que les citoyens des pays à revenu élevé et moyen peuvent entrer dans la plupart des pays sans visa, tandis que les citoyens des pays à revenu faible et moyen et des pays à plus grande fragilité bénéficient de beaucoup moins de liberté de voyage, car ils sont considérés comme étant à risque en termes de sécurité, d’asile et de dépassement de la durée de séjour.

Cependant, il est intéressant de noter que, bien que les démocraties du monde affichent en moyenne des scores plus élevés en matière d’exemption de visa, les régimes démocratiques et autoritaires ont tous deux augmenté leurs scores d’exemption de visa dans des proportions similaires depuis 2006.

Erol Yayboke, directeur du projet sur la fragilité et la mobilité au Center for Strategic and International Studies (CSIS) à Washington, affirme que l’étude montre clairement que les personnes vivant dans les pays pauvres touchés par la fragilité – des endroits d’où la fuite est souvent la seule option de survie, en particulier en présence de conflits actifs – sont celles qui ont le moins de possibilités de mobilité régulière et ordonnée.

«L’analyse suggère également que le statut géopolitique est un facteur important qui influence le pouvoir du passeport: les Iraniens et les Cubains se déplacent moins librement que les Turcs, bien qu’ils présentent globalement un niveau de fragilité similaire. Enfin, le déclin bien documenté de la démocratie à l’échelle mondiale semble avoir eu peu d’impact sur la liberté de circulation des citoyens des nouveaux pays non démocratiques – les pays démocratiques et non démocratiques ont dans l’ensemble eu davantage accès aux voyages sans visa. Même si l’étude n’est pas forcément surprenante, elle montre la dure réalité de la mobilité mondiale d’aujourd’hui : si vous avez la chance de posséder un passeport d’un pays riche et stable – quel que soit le type de gouvernement – vous pouvez vous déplacer assez facilement au-delà des frontières internationales. Si ce n’est pas le cas, les difficultés liées à la pauvreté et aux conflits qui vous obligent à quitter votre pays d’origine ne sont que le début d’un voyage difficile à l’étranger… si tant est que vous puissiez partir.»

Nouvelles incertitudes quant à la liberté de circulation

Misha Glenny, journaliste d’investigation, auteur et radiodiffuseur, ainsi que professeur associé au Harriman Institute de l’université de Columbia, s’exprime dans le Henley Global Mobility Report 2022 Q1 sur les répercussions de la pandémie sur des tendances géopolitiques plus larges dans les domaines de la migration et de la mobilité: «La seule présence d’Omicron indique un échec géopolitique majeur. Si les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’UE avaient fourni plus d’argent et de vaccins à l’Afrique australe, la probabilité d’apparition d’une nouvelle souche pathogène aussi robuste aurait été bien moindre. Tant que nous ne distribuerons pas les vaccins de manière plus équitable, de nouvelles mutations pourraient nous ramener tous à la case départ.»

Andreas Brauchlin, spécialiste de cardiologie et de médecine interne de renommée internationale et membre du conseil consultatif du SIP Medical Family Office en Suisse, est du même avis et explique que l’état de santé et le statut vaccinal d’une personne influencent la mobilité au même titre que l’exemption de visa de son passeport. «La nationalité et le statut de résident d’une personne continuent de déterminer l’accès aux vaccins autorisés au niveau national, tandis que l’absence d’un carnet de vaccination reconnu dans le monde entier limite la mobilité. Le fait de résider dans la ‘mauvaise’ nation peut fortement compromettre l’accès aux services commerciaux, médicaux et de santé, et rendre les voyages impossibles pour certaines personnes.»

Nick Careen, vice-président de l’IATA pour les opérations, la sécurité et la sûreté, affirme que de nombreux progrès réalisés au cours des deux dernières décennies pour permettre aux passagers de contrôler leurs voyages grâce à des processus en libre-service ont été réduits à néant par les restrictions liées à la pandémie. «Avant que le trafic ne reprenne, nous avons l’opportunité d’améliorer l’efficacité à long terme pour les passagers, les compagnies aériennes, les aéroports et les gouvernements. Notre dernière enquête a montré que 73% des passagers sont prêts à partager leurs données biométriques pour améliorer les procédures dans les aéroports (contre 46% en 2019) et 88% sont prêts à partager leurs données d’immigration avant le départ pour permettre un traitement plus rapide.»

Plusieurs nationalités gagnent encore en valeur

Dans ce contexte morose, les experts du Henley Global Mobility Report 2022 Q1 constatent qu’il y a aussi des raisons d’être optimiste. Comme les années précédentes, l’année dernière a été marquée par un nombre relativement faible d’accords de visas entre pays, mais il y a eu des changements notables dans le classement.

Les Émirats Arabes Unis (EAU) poursuivent leur remarquable progression dans l’indice Henley Passport après avoir récemment remis en pratique leur accord révolutionnaire avec Israël, négocié par les Etats-Unis, qui avait été suspendu pendant la majeure partie de la pandémie. Le pays se trouve désormais à la 15e place du classement, la plus haute place que la nation arabe ait atteinte jusqu’à présent dans l’histoire de l’indice, avec un score de 175 pour l’exemption de visa ou le visa à l’entrée. L’Ukraine et la Géorgie ont également fait des progrès considérables : toutes deux ont gagné 25 places dans le classement au cours des dix dernières années, ce qui en fait les plus grands gagnants de la région de la CEI.

Ryhor Nizhnikau, chercheur principal du programme européen Voisinage oriental et Russie à l’Institut finlandais des affaires internationales, note que les récents changements apportés à la législation ukrainienne sur la citoyenneté permettront désormais aux Ukrainiens vivant à l’étranger de posséder plus d’un passeport – un autre exemple de l’autorisation de la double citoyenneté qui devient la norme.

«Pour que la loi puisse entrer en vigueur, les législateurs ukrainiens doivent résoudre le problème consistant à concilier les préoccupations de sécurité nationale et les intérêts des détenteurs ukrainiens de passeports russes, notamment dans le Donbass et en Crimée, qui ont été contraints d’accepter les passeports russes. La résolution de ce problème ouvrira la voie à d’autres améliorations législatives.»

Peter J. Spiro, expert de premier plan dans le domaine de la double nationalité et titulaire de la chaire Charles Weiner de droit international à l’université Temple aux États-Unis, estime qu’il existe une tendance générale à l’adoption de plusieurs nationalités dans le monde, même si la pandémie limite la liberté de mouvement.

«Lorsque la Covid s’est propagée, les États ont fermé leurs frontières. Mais presque tous ont continué à autoriser les citoyens (et, dans de nombreux cas, les résidents permanents) à entrer dans le pays. Ainsi, la double nationalité a désormais une valeur même pour les détenteurs de passeports haut de gamme. Elle est devenue une sorte d’assurance qui a une valeur indépendamment de la nationalité primaire. Dans le contexte de la pandémie, elle a également servi d’assurance maladie. Plus on possède de nationalités, plus l’assurance est diversifiée.»

La diversification de la résidence réduit les risques dans l’ère Covid

Comme les années précédentes, les pays qui proposent des programmes de résidence et de citoyenneté par l’investissement continuent d’obtenir de bons résultats dans l’indice Henley Passport. Le récent accord d’exemption de visa entre la Dominique et la Chine est considéré par les experts comme un exemple parfait de ce succès. Si l’on considère les tendances générales du secteur, le chaos de la pandémie a souligné l’attrait des programmes d’investissement-migration, tant pour les États qui peuvent les offrir que pour les investisseurs internationaux.

Jürg Steffen, PDG de Henley & Partners, affirme que les avantages du libre choix de la résidence sont aujourd’hui évidents. «De nombreux programmes d’investissement-migration incluent l’option d’investir dans l’immobilier en échange d’une résidence ou de la citoyenneté. Les investisseurs acquièrent un actif considérable avec un potentiel de plus-value ainsi que la possibilité de vivre et de se déplacer plus librement dans un nouveau pays – ce qui peut être extrêmement précieux en période de turbulences. Pendant la crise économique actuelle, les pays ayant des programmes établis ont bénéficié de sources de revenus alternatives. Il est évident que les gouvernements qui adaptent leurs politiques pour permettre aux investisseurs étrangers de s’installer facilement gagneront la course aux revenus et aux talents en 2022.»

(Business Traveltip)