«La collision de Tokyo-Haneda soulève de nombreuses interrogations»

Philippe Meyer, Consultant en aéronautique, se penche sur l’accident entre un Airbus A350 de Japan Airlines et un Dash-8 des garde-côtes japonais.
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Après une année 2023 qui a été marquée par extrêmement peu d’accidents d’avions commerciaux, 2024 commence malheureusement avec la première perte d’un Airbus A350-900 (immatriculation JA13XJ, numéro de série MSN 538, livraison par Airbus le 10 novembre 2021, moteurs Rolls-Royce Trent XWB).
Cela s’est passé mardi 2 janvier 2024, nous sommes à Tokyo, sur l’aéroport d’Haneda et comme chacun a pu le constater sur les images qui ont déjà fait le tour du monde, l’Airbus A350, après une collision avec un Dash-8 des garde-côtes japonais, a subi des dommages au niveau de sa jambe de train avant et un début d’incendie s’est immédiatement déclaré. Puis, c’est toute la structure en matériaux composite qui part en fumée sous les yeux du monde entier.
Fort heureusement, les 379 passagers et membres d’équipage de l’Airbus qui étaient à bord ont réussi à l’évacuer avant d’être piégé par les flammes. Rappelons que pour être certifié, un avion de ligne, que ce soit un Boeing 777, un Airbus A380 ou un petit Dash-8, doit pouvoir être évacué en moins de 90 secondes et, en cas d’incendie, l’évacuation doit s’effectuer du côté opposé à la menace. Ces 90 secondes doivent donc être comptées avec la moitié des portes de secours disponibles.
Par chance, les Japonais ont la réputation d’être assez disciplinés et il sera intéressant de voir dans les prochains jours si et combien d’entre eux sont sortis avec leur bagage, ce qui s’est avéré un des gros points négatifs ces derniers mois lors de plusieurs évacuations d’avions en Europe ou aux États-Unis, lors desquelles les passagers ont pris leur bagage avec eux.
On ne le répétera jamais assez: si vous devez évacuer un aéronef et que vous prenez vos bagages avec vous, vous mettez la vie d’autres passagers en danger! L’Airbus A350-900 incriminé effectuait le vol JL516 de Japan Airlines. Japan Airlines exploite plusieurs centaines d’aéronefs. La compagnie a été créée en 1951. Elle a la réputation d’être une très bonne compagnie aérienne internationale qui opère depuis ses hubs à Tokyo et qui exploite à l’heure actuelle 15 Airbus A350-900 et 1000. Sa flotte est assez hétéroclite, composée principalement de Boeing: des 737, 767, 777 et 787.
L’aéronef qui a été touché par l’Airbus, probablement alors qu’il s’alignait ou qu’il se préparait à décoller, est un Dash 8 qui a pris un avion de 280 tonnes de masse maximum au décollage sur la structure! L’Airbus faisait un vol assez court: il avait décollé de Sapporo à 7h22 UTC. Il y a 9h de décalage entre l’UTC, l’heure standard universel, et l’heure locale au Japon, donc c’était un vol de fin d’après-midi: 1h20 de vol prévue, 820 km à parcourir, un petit changement d’approche sur la piste 34 gauche de Haneda qui est juste en bord de mer, où la température et les conditions météorologique étaient correctes, avec une visibilité un peu obstruée dans certaines directions par des fumées, mais sinon, peu de nuages et c’est donc au moment de l’arrondi que la collision a eu lieu.
Des collisions sur piste, ce n’est malheureusement pas nouveau. On a tous en tête les 747 qui s’étaient percutés à Tenerife (le plus grave accident de l’aviation civile de l’Histoire). Un autre événement qui avait marqué l’industrie aéronautique, c’était à Boston en 2005, quand un 737 et un A330 avaient failli se percuter. Ils décollaient chacun de deux pistes différentes mais qui se croisaient et l’A330 avait dû rester plaqué au sol et laisser passer le 737 juste au-dessus de lui pour décoller derrière. Bref, cela s’était joué à pas peu de chose. Plus récemment, un A320 avait été percuté par un camion de pompier, au Pérou, en novembre 2022. A chaque fois cela se termine malheureusement mal et c’est pour cela que c’est un sujet qui est pris à bras le corps par l’aviation civile.
Nous appelons cela en anglais aéronautique le «runway incursion». Tout le monde y est sensibilisé : du personnel qui conduit des véhicules sur l’aéroport aux pilotes et forcément aux contrôleurs aériens. Ceux-ci, sur certains terrains, sont aidés par la technologie. Par exemple, l’Airport Movement Area Safety System qui déclenche une alarme s’il y a une piste qui est occupée par un aéronef qui ne devrait pas y être, ou encore l’Airport Surface Detection Equipment, de plus en plus développé et répandu aux États-Unis. Mais si un terrain n’est pas équipé de ces systèmes-là, et bien c’est avec vos yeux uniquement que vous allez pouvoir éviter tout incident.
S’il y a une chose à retenir en attendant le compte-rendu du BEA, (Bureau enquête analyse), c’est l’importance de la proactivité de tous les acteurs dans l’aérien. Quand vous êtes sur un seuil de piste, qu’on vous autorise à décoller, vous devez toujours vous imaginer qu’il peut y avoir un aéronef de 200 tonnes volant à 150 nœuds qui vous fonce dessus et qui est sur le point de vous écraser sans que vous puissiez le voir arriver puisqu’il sera dans vos 6h.
Seuls une bonne discipline, une bonne visualisation, permettront de vous assurer que votre objectif principal, la sécurité, ne sera pas engagée. C’est vrai quand vous vous engagez sur la piste, aussi bien à l’atterrissage qu’au décollage. Mais ce qui est difficile quand on veut se poser de nuit sur une piste internationale comme celle de Haneda, c’est l’environnement lumineux. Dans un environnement aéroportuaire, il y a de la lumière partout et un Dash-8 qui s’engage est difficile à repérer. Pourquoi?
Quand vous pilotez et êtes en phase d’approche, votre charge de travail est très élevée, vous avez beaucoup de choses à faire entre les checklists et l’assurance que votre approche est bien stabilisée, vous vous focalisez sur votre point d’impact et vous ne détectez pas forcément un avion qui ne se situe pas là où vous visez mais bien en amont. Car le point d’impact visé par un avion commercial à l’atterrissage n’est pas le seuil de piste, il se situe un petit peu plus loin, parfois plusieurs centaines de mètres plus loin.
Concernant cet événement, différents points devront être analysés par le BEA. Le premier sera forcément les conversations radio: le Dash-8 a-t-il été autorisé par la tour de contrôle à s’engager ? L’A350 était-il sur la même fréquence? Cela sera un premier point de débriefing très important. Ce qui sera très intéressant dans l’étude du bureau enquête analyse sera de constater quelles ont été les différentes successions d’événements qui ont conduit au drame.
Car un accident n’arrive jamais pour une seule raison. C’est une succession de petits événements non pris en compte, non diagnostiqués par les équipages ou les différents acteurs qui amène à une collision tragique comme celle-ci. Ce qui m’intéresserait également, c’est de savoir si le séisme dont a souffert le Japon 24 heures plus tôt a pu avoir un impact sur la fatigue ou la vigilance des équipages, que ce soit à bord de l’Airbus, que ce soit dans la tour de contrôle ou que ce soit au niveau des garde-côtes.
En effet, la veille de la collision, il y avait une alerte tsunami au Japon. Et rappelons-nous, dès que l’on s’éloigne un tant soit peu d’une configuration standard, dès qu’il commence à y avoir un alignement de situations légèrement inhabituel, c’est à ce moment que les acteurs en jeu peuvent éprouver un petit peu moins d’énergie pour s’assurer de la parfaite sécurité de tous.
Pour clôturer cette analyse, voici quelques premiers enseignements à tirer: d’abord, si vous regardez un seuil de piste avec ses grandes bandes blanches et son marquage, vous constatez qu’il n’a pas vraiment évolué depuis une cinquantaine d’années. Il y a peut-être une réflexion à avoir pour gagner en visibilité, pour minimiser ce risque de collision dans le futur. Ensuite, rappelons-nous que 2023 a vu un développement exponentiel de l’intelligence artificielle. Or, en tant que passager sur un A350, vous pouvez voir sur votre écran personnel tout ce qui se passe autour de l’avion en temps réel, grâce aux caméras embarquées.
Pourquoi ne pas réfléchir à des systèmes augmentés par l’IA qui permettraient de détecter un autre avion, un véhicule, voire des personnes sur la piste et prévenir le personnel navigant? Voilà peut-être une nouvelle piste de réflexion pour nos amis de chez Airbus et Boeing…

Philippe Meyer, Consultant en aéronautique