«TOs et agences font partie du modèle commercial d’Air Mauritius»

Entretien exclusif avec Laurent Recoura, Chief Commercial Officer et Officer in Charge d’Air Mauritius, à nouveau online à l’aéroport de Genève.
Laurent Recoura, Chief Commercial Officer et Officer in Charge, Air Mauritius ©MK
Le marché l’attendait depuis la fin de la crise sanitaire: Air Mauritius a effectué son retour à Genève le 2 octobre et propose deux vols non-stop jusqu’à la fin du mois d’avril. Présent à Genève en septembre dernier lors de l’événement marquant la reprise des vols, Laurent Recoura exerce la fonction de Chief Commercial Officer (CCO) de la compagnie et, suite à une restructuration récente à la tête de l’entreprise, est également Officer in Charge d’Air Mauritius. Avant de rejoindre le siège de Port Louis il y a environ une année et demie, Laurent Recoura a œuvré entre autres pour Continental Airlines fusionnée avec United, puis Phlippines Airlines et Oman Air.

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Laurent Recoura, qu’est-ce qui a convaincu Air Mauritius de reprendre la desserte de Genève après trois ans de suspension dictée par la crise sanitaire?

Suite à la suspension de cette route en raison la pandémie, une réelle tristesse s’était emparée du marché. Cela plaidait bien entendu en faveur de la reprise d’une ligne qui avait toujours bien fonctionné même sous différents profils (vols jumelés avec Francfort, double liaison un certain temps avec des vols sur Genève et Zurich, etc.).

Ces profils ne correspondent plus à la demande actuelle. Haut de gamme, le marché suisse veut des vols non-stop et n’hésite pas à y mettre le prix. Les conditions sont dès lors réunies pour la reprise des opérations sans escale.

L’attente des nombreux TOs spécialisés a-t-elle pesé dans votre décision commerciale de reprendre les vols sur Genève?

Nous sommes la compagnie aérienne d’une destination vendue essentiellement par les tour-opérateurs. TOs et agences de voyages font partie de l’équation: à l’exception des personnes ayant un logement ou des proches sur place, les gens ont besoin des conseils des professionnels pour leur voyage à l’île Maurice. D’un point de vue stratégique, la distribution classique fait partie de notre modèle commercial.

La concurrence non-stop d’Edelweiss et celle via les hubs européens ou arabes est vive. Le petit marché suisse est-il en mesure de garantir un taux de remplissage satisfaisant aux deux vols hebdomadaires?

Si la Suisse n’est pas grande, son marché est très cloisonné. Malgré la taille restreinte, Edelweiss fait partie du concept et répond en premier lieu au marché alémanique.

Si Air Mauritius est beaucoup plus petite que les mastodontes du Golfe arabique, elle a une spécificité que les autres n’ont pas: les vols non-stop font que notre produit est meilleur.

En termes de produit, comment se démarquer par rapport à cette vive concurrence?

Le produit est un ensemble réunissant différents facteurs: l’infrastructure de bord, le service et la touche mauricienne. Dès le moment où nous avons confirmé la reprise des opérations non-stop, nous avons vu les ventes décoller, notamment en Business Class. Car nombreux sont les clients (familles avec enfants, séniors) qui ne souhaitent pas sortir de l’avion au milieu de la nuit après quelques heures de vol.

Nous achetons tous les mêmes avions auprès de deux constructeurs, nous avons les mêmes sièges à quelques nuances près. Mais cela n’a aucun point commun avec le niveau de service offert par les équipages.

Les Mauriciens sont l’atout majeur de l’île Maurice! La convivialité et le sens de l’accueil font partie de l’ADN de la destination. Si l’on transpose cela dans une compagnie aérienne, cela devient extrêmement intéressant. On ne retrouve pas ailleurs un attachement aussi fort que celui des Mauriciens et du personnel à leur compagnie aérienne nationale. A chaque occasion, je me fais d’ailleurs un point d’honneur à mettre en avant une telle qualité.

Peu de temps après l’annonce de la reprise des vols, vous avez prolongé la saison jusqu’à la fin avril. Ne craignez-vous pas une baisse de régime en avril, Pâques tombant fin mars 2024?

Air Mauritius, A330-900neo, GVA

C’est non seulement une prise de risque mais aussi une opportunité. A la première annonce, nous étions peut-être un peu timorés. Mais la réaction du marché a été immédiate et nous a convaincus de prolonger la saison.

La suspension des vols avait entraîné une certaine frustration qui s’est traduite par une très forte demande dès l’annonce de la reprise des vols. D’un point de vue commercial, il convient stratégiquement d’ouvrir les ventes très tôt, ce que nous avons fait.

J’ajouterai que nous avons bénéficié d’un soutien assez remarquable au niveau marketing de la part de Genève Aéroport qui a accompagné notre retour par diverses actions. Tous les aéroports n’agissent pas de la même manière…

Quant au mois d’avril, les «advanced bookings» nous satisfont pleinement. Je n’ai pas de souci majeur à ce sujet.

Si tel était le cas, opteriez-vous pour une réduction du programme à un vol par semaine?

Non car ce n’est plus un produit.

Envisagez-vous la nomination d’un Commercial dédié à Air Mauritius pour la Suisse, comme ce fut le cas pendant des décennies?

Lors de la mise en place de liaisons aériennes saisonnières, il est judicieux de contrôler les coûts fixes. C’est d’autant plus vrai que nous parlons de la Suisse. A l’époque, le marché fonctionnait selon d’autres codes: une demande existait pour la billetterie et justifiait un bureau permanent.

En Suisse, nous avons opté pour un agent général, en l’occurrence APG Switzerland. Nous ne sommes pas dans le même fuseau horaire, quand bien même le décalage horaire est faible, et l’agent général est à même de répondre aux questions portant des points techniques. Un agent général est aussi là pour activer le marché: après la pandémie, le paysage des agences de voyages a changé et il convient aussi de faire des piqures de rappel aux distributeurs.

Vous avez un accord avec Swiss pour le feeding depuis Zurich. Comment allez-vous promouvoir les vols en Suisse alémanique ?

Nous notons que si 20% des ventes provient actuellement de France voisine, le reste est généré par la Suisse, plus particulièrement la Suisse romande qui se taille la part du lion en la matière.

A travers APG Switzerland, c’est aussi une manière de toucher l’ensemble du pays, même si je précise que nous entretenons des relations commerciales avec tous les tour-opérateurs actifs sur l’île Maurice, quelle que soit leur situation géographique.

En 2012, Air Mauritius aurait dû fêter ses 25 ans de présence à Genève. Mais les consultants américains de Seabury APG imposaient alors leur logique de hub. Avec le recul, s’agissait-il d’une erreur stratégique?

Je n’aime pas commenter le passé et il ne m’appartient pas non plus de le faire pour le travail de Seabury. Toutefois, nombreux sont les «spécialistes» se prétendant capables de régler tous les problèmes d’une compagnie aérienne sur une feuille Excel. Or la réalité du terrain est très différente. En ajoutant une escale à un vol vers l’île Maurice, nous ne ferions rien de mieux que la concurrence.

En comparaison européenne, est-il vrai que le yield à Genève est le plus élevé du continent pour Air Mauritius?

A l’époque, des erreurs ont peut-être été commises en termes de distribution. Mais il faut bien analyser la situation. Même si le volume de certains TOs justifie l’octroi de d’un incentive ou d’un autre bonus, une airline doit mettre tous les tour-opérateurs sur un pied d’égalité. C’est lorsqu’on donne les meilleurs outils à tout le monde que cela fonctionne le mieux.

D’ailleurs, aucun professionnel ne m’a parlé de tarif lors de ma récente visite à Genève, ce qui est presque contre nature. C’est un signe qui ne trompe pas: on cherche le meilleur pour son voyage et le facteur prix joue un rôle secondaire.

Globalement, comment se porte Air Mauritius aujourd’hui?

Nous avons, certes, vécu la séquence pandémie mais des problèmes structurels antérieurs ont pesé sur la santé financière de la compagnie qui avait été mise en «administration volontaire».

Suite à la recapitalisation par l’Etat via la holding AHL (Airport Holding Limited), Air Mauritius s’est concentrée sur son «core business», le transport aérien. La compagnie s’est séparée de diverses activités, par exemple les hélicoptères ou la participation dans un hôtel de Rodrigues, le Cotton Bay.

Il convenait en effet de travailler les fondamentaux, également les ancillaries et les coûts de distribution. Le retour à l’équilibre a été facilité par la forte demande. La holding nous demande de gérer la compagnie de la façon la plus rationnelle possible. Aujourd’hui, notre position «cash» est bonne.

Nous avons la capacité financière de lancer de nouveaux vols, nous avons acheté un nouvel ATR et confirmé la commande de trois Airbus A350 supplémentaires qui rejoindront les quatre A350 et les deux A300-900neo en service. En attendant leur livraison, nous avons conclu un accord de «dry lease» portant sur deux A330-200.

Quels sont les axes de développement actuels?

Air Mauritius est actuellement en phase de reconquête. Nous proposons 44% de l’offre de sièges vers l’île Maurice, le but étant de grimper entre 50 et 60%. Car un transporteur national doit être fort. En cas de coup dur, les concurrents réduisent leur offre ou renonce. Un transporteur national ne peut pas le faire, c’est la garantie d’une certaine indépendance, d’autant que nous parlons d’une île.

Air Mauritius A330-900neo
©Airbus

 

 

La phase 2 comprend ce que nous nommons «Customer Expérience». Il convient de porter fièrement les couleurs mauriciennes et de redonner un aspect mauricien à l’ensemble du produit. Nous essayons de changer les codes, qu’il s’agisse des cartes de mets et de la composition de ces derniers. Pourquoi servir du magret de canard au départ de Paris alors que nous avons des spécialités mauriciennes de grande qualité?

Les A330 et A350 sont équipés d’un système d’éclairage hautement sophistiqué. Pourquoi ne pas en profiter? A la place d’une lumière blanche sans relief, nous opterons pour du bleu lors de l’embarquement. Une artiste mauricienne, Annega, apportera aussi sa touche personnelle avec une nouvelle musique d’embarquement.

Et à Genève, nous soignons le produit en Business Class en distribuant aux passagers de nouveaux matelas de sièges pour un confort accru. Par petites touches destinées à soigner l’aspect mauricien, nous améliorons l’ensemble du produit à bord comme au sol, par exemple à notre salon Business de l’aéroport de Maurice.

La durabilité est aussi sur toutes les lèvres dans l’industrie aérienne.

Oui, et l’industrie aérienne est diabolisée alors que d’autres secteurs sont infiniment plus polluants et moins soucieux de l’environnement. Fort heureusement, nos vols très longue distance sont assurés par des avions de dernière génération dotés de moteurs réduisant très fortement l’impact environnemental.

Notre programme environnemental «One take-off, One tree» nous permet de planter un arbre endémique ou natif en collaboration avec la Mauritian Wildlife Foundation. Plus de 75’000 arbres ont déjà été plantés à Maurice et à Rodrigues au cours de ces dix dernières années.

Par ailleurs, nous avons également lancé une invitation concrète à diverses associations locales afin de recycler les 70 tonnes de verre que nous utilisons chaque année à bord des vols vers Maurice et nous nous engageons à développer d’autres initiatives environnementales.

                                                                                                Interview: Dominique Sudan