Laissez les pros piloter Air Mauritius!

Quo vadis Air Mauritius? Depuis la nomination de Charles Cartier à sa tête, Air Mauritius ne passe pas un jour sans faire la une de la presse mauricienne.
Dominique Sudan, rédacteur en chef de TRAVEL INSIDE (français).
«C’est beau mais c’est loin!», pour paraphraser Jacques Chirac dans un autre contexte. Ce qui se passe depuis des mois au siège d’Air Mauritius est en revanche moins beau et peu reluisant.
La compagnie aérienne mauricienne n’a jamais été un exemple de stabilité en termes de gouvernance. N’a-t-elle pas connu la bagatelle de 10 CEO depuis l’an 2000? Les erreurs stratégiques fondamentales commises au fil des années ne sont que le fruit de guerres politico-claniques qui créent un climat toxique au sein d’une compagnie aérienne qui n’a jamais coupé le cordon ombilical avec les politiques et qui, fatalement, est la victime directe des changements de gouvernements intervenant à l’île Maurice.
Management sans expérience aucune
Air Mauritius constitue donc un sujet de prédilection pour le peuple et les médias mauriciens, et ce depuis des lustres. La nomination du nouveau CEO Charles Cartier n’a fait qu’envenimer la situation. Vivement critiqué à Maurice pour n’avoir aucune expérience de l’industrie aérienne, Charles Cartier a dans un premier temps suspendu pour d’obscures raisons le Chief Commercial Officer (CCO) Laurent Recoura et renoncé momentanément à un professionnel qui est au bénéfice d’une expertise de 30 dans l’aviation civile internationale.
Or Laurent Recoura, cheville ouvrière du redressement spectaculaire d’Air Mauritius depuis deux ans, a imprimé à MK une dynamique commerciale qu’on ne lui avait jamais connue. Cette mise à pied, une très large majorité du personnel de MK la condamne avec la plus grande fermeté, comme les médias mauriciens et la population de l’île.
Pire, le professionnel suspendu a été remplacé par un parfait inconnu au poste clé de CCO. Peut-on décemment œuvrer avec succès au plan commercial sur les principaux marchés émetteurs (France, Grande-Bretagne, Allemagne, Suisse, etc.) en apportant dans ses bagages que la maigre expérience d’un petit call center mauricien?
A contrario, le CCO «écarté» a rapidement tissé des liens commerciaux très solides avec les principaux acteurs de ces marchés, pris des décisions stratégiques importantes en consolidant le réseau européen (basculement sur Londres Gatwick, double opération sur Genève pendant sept mois, ouverture de Rome en automne prochain, etc.) et œuvré avec discernement pour que MK retrouve de belles couleurs financières. Il a suffi d’un changement de CEO pour faire table rase de cette approche commerciale empreinte de bon sens.
Effets pervers sur la stabilité des marchés
Si Laurent Recoura est une victime collatérale de querelles intestines, il y a fort à craindre qu’Air Mauritius soit bientôt confrontée à des turbulences encore plus fortes au plan commercial et financier. Avec sa puissance de feu, Emirates récupérera dès septembre l’essentiel du lucratif marché du fret sur Madagascar et le traitera via Dubaï. Plus au sud, South African Airways reprend ses opérations sur Perth et attaque frontalement MK dans l’ouest australien.
Et au plan touristique pur, les principaux partenaires mauriciens (groupes hôteliers, DMC, etc.) et les producteurs étrangers ne savent plus sur quel pied danser en pleine préparation de la prochaine saison automne/hiver.
Au niveau opérationnel, rien n’indique non plus que la méconnaissance crasse du management de MK n’ait pas d’effets pervers sur la stabilité des marchés. En Italie par exemple, des rumeurs dans le secteur des voyages font état de l’abandon de l’ouverture pourtant annoncée des liaisons régulières sur Rome!
Et en Suisse, les nombreux tour-opérateurs très pointus sur l’île Maurice et l’océan Indien n’ont aucune garantie quant au maintien d’octobre à avril de la double opération hebdomadaire non-stop vers Genève.
Air Mauritius n’en est d’ailleurs pas à une erreur stratégique près. En 2012, n’avait-elle pas décidé de fermer Genève après 25 ans de desserte en buvant les paroles du cabinet de consulting américain Seabury? Il fallut ensuite des années pour revoir un appareil de MK sur le tarmac de Genève. Or le ‘yield’ à Genève avait toujours été un des plus importants du réseau intercontinental de MK, les vols sans escale offrant aux clients et aux spécialistes une très haute valeur ajoutée que les concurrents ne peuvent proposer.
Prochaines élections salvatrices?
Aujourd’hui, il est loisible de souhaiter un très rapide retour au calme dans le management de MK afin que les fruits récoltés ces deux dernières années ne pourrissent pas sous le soleil tropical. Un énième changement de CEO, avec son cortège de mutations au sein de l’état-major de la compagnie, est d’ailleurs envisageable: les prochaines élections à l’île Maurice, qui peuvent intervenir avant l’automne, seront décisives pour la survie de MK.
Car avec le management actuel, la compagnie fonce dans le mur. Et là, il n’est pas certain que les Mauriciens acceptent une nouvelle fois de renflouer leur transporteur national, vital au plan économique et insulaire.
Que Port-Louis laisse les pros piloter Air Mauritius! Il y en a à proximité: ils sont actuellement «suspendus»…

Dominique Sudan